A part ça, un peu d’Afrique dans le Caucase?

par Fanny Charmey

Il s’agit de ne pas confondre albanais et albanien.  En latin, le mot albania désignait une région située aux limites du monde connu à l’est, où les hommes auraient les cheveux blancs dès leur naissance, d’où l’étymologie du nom, liée au latin albus « blanc ». Cette région jouissait dans l’Antiquité d’un fort potentiel mythologique, et l’Albanie du Caucase est le centre de nombreuses légendes, tant est si bien que l’origine du peuplement de cette région et de la nature exacte de ce royaume reste aujourd’hui toujours mystérieuse. Ce que l’on croyait savoir sur cette dynastie tenait en peu de mots: christianisés par Pompée, les albaniens auraient adoptés l’alphabet arménien, dans lequel ils auraient consigné une riche littérature biblique. Qui aurait été intégralement perdue.

Palimpseste albanienCependant, une série de caractères, découverts en 1937 dans un manuel de langue arménien du XVème siècle, ont mené les linguistes communistes, férus de la densité linguistique incroyable du Caucase, à les considérer non seulement comme issus de cet ancien royaume déchu, mais également à voir dans les locuteurs de l’oudi les descendants directs des Albaniens du Caucase. Le problème principal que se sont vus poser les savants russes est que les locuteurs de l’oudi ne se comptent plus qu’au nombre de 5000, dans quelques villages très isolés de l’Azerbaïdjan et de la Russie actuelle. Leur dialecte n’ayant subi aucune homogénéisation au fil des siècles, ils restent difficilement inter-compréhensibles. De plus, comme aucun texte n’existait en albanien du Caucase, il était impossible de déterminer plus avant non seulement une structure grammaticale quelconque de la langue albanienne mais également d’avoir un aperçu général de l’alphabet utilisé. L’histoire s’arrêta donc là. Jusqu’en 1996. Jusqu’à la découverte de palimpsestes dans le Monastère Sainte-Catherine, en dessous du Mont Sinaï.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un palimpseste ? Il s’agit d’un parchemin recyclé. A l’époque, les parchemins sont en peau animale tannée, et sont extrêmement couteux. Il était d’usage de gratter l’encre des parchemins devenus désuets, et de récrire par-dessus, un procédé aléatoire qui laisse des traces, une bénédiction pour la linguistique diachronique. On peut s’en rendre compte sur la photographie de l’un de ces fameux palimpsestes ci-dessus. Le texte foncé est le texte grégorien, pour lequel avait été utilisé le parchemin dans son second usage. On distingue toutefois en clair en arrière plan une autre écriture, que les linguistes ont pu déterminé comme étant ce fameux albanien du Caucase. Une chance incroyable : non seulement les textes de cette langue avaient été effacé, gratté, mais de plus, ils avaient été emmurés dans les murs de Sainte-Catherine suite à un incendie !

L’alphabet d’une langue que l’on croyait perdue nous est donc parvenu. Mais c’est là que tout commence pour le linguiste : si l’on a pu déterminer que l’oudi, langue moribonde et fortement dialectalisée, est une descendante de l’albanien, il faut dès lors produire un important travail de reconstruction étymologique, car ce sont plus de 1500 ans qui séparent les locuteurs actuels de l’oudi et ceux de l’albanien, comme si l’on cherchait à reproduire du latin à partir d’un alphabet incertain en connaissant vaguement le français… Cet alphabet a toutefois pu être déchiffré grâce aux connaissances des alphabets arméniens et grégoriens, d’une part, et… copte d’autre part !

Étonnamment, les Albaniens du Caucase avaient tissés des liens assez étroits avec l’Ethiopie, alors même que le monde de l’époque brillait par l’insécurité des voies de communication, pour s’aligner sur une chrétienté commune et une reconnaissance du système scriptural africain pour un emprunt graphiste des caractéristiques phonologiques de cette langue caucasienne.

One thought on “A part ça, un peu d’Afrique dans le Caucase?

  1. apccaroline says:

    wow l’aventure linguistique 🙂 et en plus à travers le monastère de Sainte Catherine! Je suis fan!

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